Au Paradis des Muses


 

« L’immortalité est inutile : avoir vécu suffit. »

Raymond Ruyer

 

 

Les sabliers, les aiguillages

 

Assis sur un banc avec une demi-heure à perdre… ou à gagner.

Ils venaient de se retrouver et il était encore trop tôt pour disposer de la chambre d’hôtel qu’ils avaient réservée. Alors ils s’étaient réfugiés dans le petit parc public qui se trouvait à l’angle de la rue. Il y avait quelques allées et des jeux pour les enfants. Ils se sentaient fébriles. C’était la première fois qu’ils se revoyaient. Ils allaient enfin pouvoir faire l’amour. Ils avaient défié les lois de la logique, les probabilités, les sabliers et les aiguillages pour être fidèles à leurs désirs convergents.

 

Elle était visiblement intimidée par cette situation insolite et audacieuse. Elle réalisait combien elle était en train de commettre la plus délicieuse des folies. Elle se répétait que tout ça n’aurait jamais du avoir lieu dans sa « petite vie tranquille » comme elle disait. Et puis il y avait eu leurs regards, leurs mots arrachés aux circonstances, leurs premiers instants volés, cette connivence vertigineuse et ces quelques baisers inoubliables.

 

Les enfants qui jouaient

 

Alors maintenant qu’elle l’avait retrouvé, qu’il lui tenait la main, elle n’osait pas y croire. Elle se blottissait contre lui mais elle n’osait pas l’embrasser en public, à l’extérieur. Lui, il en mourait d’envie aussi, mais il savait attendre… Et puis il y avait les enfants qui jouaient, juste là sur le petit toboggan. Sa pudeur voulait qu’on ne s’embrasse pas devant des petits. Lui, il se disait qu’elle serait si absorbée par leur baiser qu’elle en perdrait la tête et qu’elle risquait d’être vraiment impudique s’ils s’embrassaient dans ce petit parc.

 

Il faisait doux et le soleil les réchauffait très agréablement. Ils se parlaient avec beaucoup de plaisir et de tendresse. Il lui montra quelques photos parce qu’elle voulait tout savoir de lui, de sa vie, de sa famille… Il ne cessait de la regarder, il voulait percevoir tout ce qu’il n’avait pas retenu la première fois. Il détailla ses mains, ses poignets, ses yeux, sa bouche. Elle était encore plus belle que dans son souvenir. Alors il voulait tout connaitre, tout retenir de sa beauté, s’emparer d’elle par tous les détails qu’il n’avait par encore perçus.

 

Son audace et sa timidité

 

Il lui caressait les mains et le cou, se penchait pour sentir son parfum. Son odeur qui lui avait tant manquée. Tout en elle lui plaisait. Il adorait sa façon de parler et de se taire, son audace et sa timidité, son élégance physique et ses postures de danseuse. Elle lui paraissait infiniment gracieuse et désirable. Sa beauté le transperçait littéralement.

 

Ce jour là sans l’avoir prévu ils s’étaient habillés presque à l’identique. Même sorte de jeans, même style de chaussures et ils portaient tous les deux des chemises blanches. (Un peu plus tard ils s’apercevraient qu’ils avaient aussi des sous-vêtements noirs très ressemblants…). Ils se sentaient si bien ensembles ! Probablement que cela devait se voir. Ils devaient être magnifiques et il aurait voulu prendre des photos de ce moment exceptionnel. Mais elle préférait qu’ils gardent leurs images dans leurs têtes…

 

Un homme s’était assis sur un des bancs qui se trouvait presque en face d’eux. Ils n’avaient pas prêté attention à son arrivée. Peut-être accompagnait-il un des bambins qui sautillaient sur les chevaux à ressort. Peut-être était-il le mari de la dame qui se trouvait à côté de lui. Ils n’auraient pas su le dire. Il semblait vivement s’intéresser à eux, à ce couple fou de désir, souriant et impatient qui devisait tendrement en se retenant de ne pas se sauter l’un sur l’autre. Il les regardait avec insistance, comme hypnotisé par la lumière qui rayonnait ou par les harmonies qui résonnaient autour d’eux.

 

Pour s’enflammer un après midi entier

 

Il réalisa un peu plus tard qu’ils auraient pu aller le voir pour lui parler. Il aurait aimé lui dire que, oui, ils se sentaient très heureux et terriblement désirables ce matin là. Il aurait aimé lui dire qu’il était très fier que cette femme magnifique qui n’était pas la sienne s’était levée tôt pour venir de loin le rejoindre ; qu’ils se retrouvaient seulement pour que leurs cœurs et que leurs corps et leurs esprits s’enflamment un après-midi entier et pour rien d’autre. Il aurait aimé lui dire que l’amour existe et que ça ne fait de mal à personne. Que les amoureux des bancs publics ne sont pas une légende, que le désir est plus fort que tout. Qu’ils se sentaient infiniment vivants et que tout ça était meilleur que tout ce qu’ils connaissaient.

 

Il aurait aimé lui dire que derrière la banalité de la scène qu’il observait avec envie, il y avait deux vies qui s’entrechoquaient et prenaient le risque inconsidéré de se bruler au feu de la passion ; que sans ces moments là, la vie ne vaut pas grand-chose à leurs yeux et n’est rien d’autre qu’une succession de jours gris ; que rien n’égale la beauté d’une rencontre sensuelle, quels que soient les défis à relever pour qu’elle ait lieu. Mais probablement que l’homme en face comprenait déjà tout ça.

 

Un clocher retentit. Il était l’heure de quitter le petit parc. Ils se levèrent et se dirigèrent vers l’accueil de l’hôtel en se tenant la main.

 

 

 

© DGC 05 2008

 

Sam 31 mai 2008 4 commentaires
sans mot
morganedesfees - le 31/05/2008 à 16h38

Pas un mot, pas un mot d'elle.
Juste une trace, la trace du passage de ses ailes.
Pas de ses pas sages sur mes images volages.
Non, juste un souffle d'elle.
Vole mon amie Morgane !
Anonyme
Je me souviens d'un banc public
Je me souviens d'un instant magique
où deux souris furent les témoins
de deux personnes se touchant les mains

Ont-elles gardé le secret
de cette belle complicité ?
j'aurai envie de dire oui
car c'est toujours dans mon esprit
Multi-sourires - le 31/05/2008 à 20h58

Les bancs publics sont une géographie particulière
ils conservent l'odeur et la chaleur des corps passés,
se souviennent des confidences, des caresses et des baisers

Les bancs des villes, les bancs des parcs, des places et des ruelles
sont comme les livres ouverts des rencontres, ce sont des sentinelles,
les gardiens de nos histoires fatales ou dérisoires
Baisers à toi ma Louve
Anonyme
Envoutant, la construction de ton texte en instants pour mettre le doigt sur la richesse de moments simplement beaux. vivre les préludes avec la même intensité que le developpement ou le but à atteindre. Bises.
bougrenette - le 03/06/2008 à 12h53
L'adepte du détail vibrant,
est quêteur du magnétique instant,
ou chasseur du parfait moment...

Comment fixer notre mémoire
de quelques mots hasard
ou de nos phrases miroir ?

Des préludes intenses comme des moments troubles,
le désir à son apogée s'exprime dans les volutes des prémices
parce que les parades à Paris nous rapprochent du Paradis.

Anonyme
alors là, bravo, j'applaudis sans réserve ... tu es un magicien-musicien des mots et des douceurs qu'ils peuvent distiller. Je t'embrasse.
Bougreepoustouflée - le 03/06/2008 à 21h53
Merci Bougrenette.
Anonyme