Au Paradis des Muses


 

 

« La vraie tragédie n’est pas de vieillir

mais de ne plus être capable de voir la beauté qui vous entoure. »

Laura Morante

 

 

Jour de chance

 

En revenant en train de Paris j’ai fait connaissance avec ma voisine de siège. C’est assez rare de voyager en bonne compagnie sur le simple hasard des numéros de places. La plupart du temps on se retrouve avec un gros vieux qui ronfle et qui pue… ou une mémé acariâtre qui bouffe des sandwiches au salami.

 

Mais cette fois c’était mon jour de chance. Une belle jeune femme métissée, élégante, me demande pardon en arrivant pratiquement la dernière dans le wagon. Elle avait des bagages en désordre qu’elle n’arrivait pas à ranger et cherchait son bouquin pour faire le voyage. Je me suis levé et l’ai laissée s’installer à côté de moi côté vitre avec un sourire retenu, en lui disant de prendre son temps, que ça ne me gênait pas du tout d’attendre debout quelques instants.

 

Je feuilletais un magazine en patientant tranquillement et en l’observant un petit peu. Grande fille aux jambes élancées, joli corps, décolleté tentateur, long cou, allure gracieuse, un visage assez fin, la peau très marquée par le soleil. Je me suis dit qu’elle devait être sud américaine, sans doute brésilienne… et qu’à en juger à son bronzage elle devait se rendre à La Rochelle toutes les semaines.

 

Lectures transitoires

 

Une fois qu’elle eut rangé tous ses paquets et qu’elle put enfin s’asseoir, elle n’hésita pas à m’adresser la parole. Elle a un peu trop chaud malgré sa tenue très légère. Elle s’excuse pour le dérangement, me remercie… Je réponds que les voyageurs ont toujours beaucoup trop valises… puis je jette un coup d’œil à la couverture de son livre : Marc Levy « Où es tu ». Un best-seller qu’on trouve dans toutes les vitrines… - Elle n’a pas des goûts très originaux en matière de lecture, me dis-je. Mais qu’importe, nous allons vite trouver un terrain d’entente, je le sais déjà. Moi je venais de terminer Stephen Vizinczey « Eloge des femmes mures » et des nouvelles d’Anaïs Nin, pas très original non plus… et je me rabattais sur le TGV mag’ de juin pour m’occuper avant le départ. Je lui demande si le livre est bien, elle reste assez vague, elle en est au début.

 

On élargit le sujet et je lui dis tout le bien que je pense de l’auteur que j’avais vu en interview quelques jours auparavant. Elle est vraiment très cool et me tutoie déjà comme à un copain. Pas farouche, la belle ! me dis-je. Le dialogue se poursuit sur d’autres lectures, sur l’écriture, les arts et la créativité. Je lui parle un peu de mon activité de rédacteur. Elle n’écrit presque pas, mais elle fabrique des bijoux à base de perles et de nacre de Tahiti, son île natale. La conversation s’engage un peu sur son business. Puis elle me dit qu’elle est aussi professeur de danse tahitienne (d’où son élégance de rêve, j’aurais du me douter qu’elle était danseuse !)

 

Premiers échanges

 

Nous soulignons la chance que nous avons de pouvoir faire agréablement connaissance, et qu’en première classe les gens sont souvent trop snobs. Je la contredis poliment en observant que je n’avais jamais rencontré mes amis en fonction de leur statut social, de leur couleur ou de leurs croyances, bien au contraire. Nous continuons à échanger à bâton rompu, nous nous apercevons que nous avons la même destination finale. Aujourd’hui le hasard a très bien fait les choses. Il nous reste deux heures et elle s’en réjouit !

 

J’ai en tête des tas d’idées lubriques mais je ne suis pas du genre à me précipiter pour la coller contre l’intérieur de la porte des WC. L’odeur y est d’ailleurs en général assez détestable, donc autant attendre un peu… Elle me plait sans pour autant me rendre fou. Elle est très jolie mais premièrement je rentre chez moi et je ne voudrais pas être trop en désordre en retrouvant ma femme, deuxièmement je m’en voudrais d’endommager une relation qui commence aussi bien par une avance érotique trop explicite ou trop hâtive. Je sens que c’est le genre de femme à apprécier qu’on la convoite sans griller les étapes. Je me contenterai d’observer ses regards, d’entendre les nuances de ses intonations, de noter ses attitudes corporelles pour bien vérifier qu’elle peut éventuellement s’offrir à moi.

 

Private investigations

 

Ses beaux sourires, sa décontraction, son plaisir à parler, sa curiosité à mon égard, ses brefs attouchements amicaux me confirment qu’elle se sent en totale confiance en ma compagnie. Je maintiens donc le cap de nos échanges dans une direction bien définie, avec pour objectif de connaitre le mieux possible ses désirs, ses expériences, ses limites… et je ne suis pas déçu. Après avoir parlé un peu de mon travail (des essais sur la spiritualité, l’éducation, les sujets de société…) et des différentes danses traditionnelles de son pays, elle me demande sur quels sujets j’écris à titre personnel. Ma réponse fut simple : « principalement l’érotisme ».

- Oh ! fit-elle tout de même un peu surprise, très intéressant !

Je lui précise : j’écris toutes sortes de choses, des poèmes, des articles, des nouvelles… Je ne suis pas encore romancier mais je suis sur le point d’y parvenir.

- As-tu des choses ici à me montrer ? s’enquiert-elle en roulant des yeux vers mon sac.

- Bien sur… j’ai mon petit cahier de notes avec moi, et justement tout à l’heure en attendant le départ du train au Salon grand voyageur, j’étais entrain d’écrire un instant particulièrement troublant où un homme glissant sa main dans le shorty de son amante la fait frémir… Mais je n’ai pas tout à fait terminé.

- Quel dommage !

- Par contre j’ai des milliers de textes sous la main puisqu’ils sont dans mon portable. Il me reste une bonne heure de batterie, si ça te tente.

Et bien sur ça la tentait beaucoup. J’ai choisi de lui montrer quelques fichiers courts avec des photos de mon amie Perséphone. J’observe la belle qui prononce à voix basse les vers coquins, les ritournelles légères et les rimes astucieuses que je lui montre… un pur bonheur !

 

Confidences sur l’accoudoir

 

A plusieurs reprises, au cours de nos échanges à voix haute, je remarque les oreilles attentives de nos voisins de wagon. Savoir que nous sommes écoutés et que nos conversations peuvent les intriguer me réjouit infiniment. Je prêche pour la sensualité entre les êtres, la rencontre des âmes, le rapprochement des peaux… et j’aime aussi le faire savoir.

 

Je ne veux pas ennuyer trop longtemps ma charmante compagne de voyage avec mes mots écrits… même si elle les apprécie ouvertement. Je me dis qu’il serait bien plus intéressant de la connaitre mieux, elle. Je la questionne autant que je la renseigne. Mariée ? Non mais en couple depuis 3 ans. Pas d’enfants. Nostalgique de son pays ? Partagée entre trépidance métropolitaine et son île originelle. Les amants ? A l’occasion. Elle m’indique son âge (35), nous échangeons nos prénoms. Elle s’appelle Vahéana, ce qui signifie « l’offrande ». Pas facile à retenir, mais quelle chance d’avoir un prénom pareil ! Je lui demande de me l’écrire dans mon carnet. Elle se prête de bonne grâce à tous mes caprices… Le grand amour ? Elle ne l’a pas encore trouvé. La sensualité ? En quête du grand frisson qu’elle n’a encore jamais connu avec un homme. Je creuse un peu la question, juste pour le plaisir de l’exciter… Le corps en occident, la libération sexuelle, la fraternité homme-femmes, nos rêves de paradis terrestres… Je m’amuse beaucoup et elle joue parfaitement le jeu. Nous passons un moment délicieux.

 

Se retrouver peut-être…

 

Nous ne sommes plus très loin d’arriver à destination. Elle me parle de son spectacle de danse tahitienne vendredi prochain, tout près de chez nous. Je note l’heure dans mon agenda sans rien promettre. Nous sommes sur le quai quand je m’apprête à la saluer. Elle me propose de monter dans sa voiture pour me rapprocher de mon adresse. Bien sur j’accepte. Nous faisons encore un quart d’heure dans les bouchons en pleine canicule en continuant à savourer notre plaisir. Je la quitte en la remerciant chaleureusement et en lui laissant mon téléphone. Peut-être que j’irais voir son spectacle… peut-être qu’elle m’appellera…

 

 

 
 

© DGC 06 2008, Illustration : Tarquin.  

Ven 13 jun 2008 4 commentaires
FA - BU - LEUX !
Ca c est du grand Art.
See you soon darling
Laure - le 14/06/2008 à 06h41

J'hésite sur l'interprétation de ton compliment, Laure.
Désignes-tu la rencontre elle-même ou bien la façon dont je la décris ?
Parce qu'il y a art of writing et art of seduction.
Mais c'est vrai que j'emmêle souvent les deux.

Baisers à fleur de peau...
Anonyme
Danse des mots ou danse des rimes
tu maitrises parfaitement le rythme
de faire tourner les belles dans ta vie
Un petit pas de danse.. ça te dit ? ;-)
Multi-sourires - le 16/06/2008 à 14h27

Un pas de tango, une passe de salsa
une valse à cinq temps, un poème à douze pieds...
ma Louve, avec toi je peux tout danser !
Anonyme
Belle histoire, qui nous "ferait aimer le train" ;)
et belle collection d'images de BD :)))

aux plaisirs
Thomas Déodate - le 16/06/2008 à 15h10

Sensible aux mots comme aux images, Thomas...
Les belles nous ensorcellent, on n'y peut rien.
Merci de ton passage, chez toi j'aime beaucoup aussi !
Anonyme
J'ai mis un lien vers ton blog (à la lettre E d'E-Lover bien sûr ;) )

aux plaisirs
Thomas Déodate - le 20/06/2008 à 05h01

Merci Thomas !
(j'en fais de même)
Anonyme