Au Paradis des Muses
« Les meilleures choses ont besoin de patience. »
(Jean Anglade : Le Temps et la paille)
Nous savions pourquoi nous étions ensembles. Pas le moindre doute de ce côté-là. Derrière la vitre de l’hôtel tu surveillais ta montre. J’étais en retard.
Le détour par le centre ville, la recherche d’un fleuriste en milieu de matinée, les camions du marché… j’aurais du penser à autre chose. Très mauvaise idée.
Tu voulais me faire passer par la sortie de secours. Manque de chance, c’était bloqué. Sécurité, verrouillé : pas moyen de passer. J’aurais aimé le côté clandé.
Passer par l’accueil, se marrer du regard semi-goguenard semi-envieux des résidents qui voient passer la pensionnaire en thalasso venue accueillir son amant de passage, pas sage du tout.
Toi splendide de la tête aux pieds, moi pas très frais après les kilomètres. L’effet aquarium derrière la vitre. La sortie de secours pour l’urgence de nos désirs.
Première apparition depuis le chemin de graviers du parking. J’hallucine. A la fenêtre de ta chambre, ton sourire surdimensionné.
Le couloir et on entre.
La clé qui tourne, premier face à face en solo. Vertige vertical en duo. Quelques mots presque en trop. Laisser jouer la synchro. Rester présent et savourer l’instant. La conscience que tout cela ne se reproduira jamais plus.
Premiers instants sacrés de la rencontre, sacrément géniaux. Les émotions en avalanche, et ma main sur tes hanches.
Nos regards qui se cherchent, nos corps qui s’appellent. J’aimerais que cette seconde dure un siècle. Suis-je trop civilisé ? Je vois que tu n’attends rien d’autre qu’un baiser. Tu veux que je te touche. C’est à moi d’ouvrir le feu ?
Je recule encore quelques minutes devant l’urgence de tes envies. Nous sommes en vie. Plus vivants que jamais au cours de notre vie.
Je te parle comme tu te donnes, comme tu t’abandonnes. Besoin de temps mais c’est tentant. Je ne vais quand même pas te sauter dessus. On est ensemble depuis dix minutes.
Pourtant je te connais très bien… Je connais tes rêves, tes attentes et tes projets. Je sais. Je crois savoir. Je suis trop civilisé.
Je me surprends à imaginer que tu aurais aimé que je te renverse, que je te colle au mur, que j’arrache ta robe, que je te trousse sans attendre sur le bord de la table, que je te mette la main dans la culotte en te roulant une pelle qui n’en finirait plus. Attends encore un peu…
Tu attendais que je me colle à toi et que je t’écrase les seins, que je t’écarte les cuisses sans prononcer un mot. Tu avais surement raison. On ne se voyait que pour ça après tout.
Tu t’es donnée mais je t’ai pas prise.
J’ai préféré prendre le temps de te parler, de te regarder délicatement, de t’écouter, de te caresser timidement, de te dire la joie de te rencontrer.
Tu t’étais parfumée, tu t’étais préparée, tu étais reposée. Peut-être même que tu t’étais touchée pour t’échauffer en m’attendant. Qu’aurais-je pu espérer de mieux ?
Ma bite a parlé après mon cerveau. Trop éduqué sans doute. J’aurais éprouvé autant de plaisir à faire ta connaissance qu’à te baiser savamment. Presque.
Alors nous avons pris le temps d’aller déjeuner. Avons-nous voulu reculer devant l’obstacle, par crainte de briser l’élégance de nos rapports ou voulions-nous cultiver l’art de l’attente ? Nous savions la trivialité du choc des corps. Le sexe comme rencontre du divin et du chaos.
Tu commençais à comprendre que j’étais l’adepte fervent du désir consommé, du préliminaire à prolongation, de l’attente mijotée, du passage à l’acte tarabiscoté, de l’éveil des sens à retardement, de l’envie d’attendre encore un moment.
Je savais pertinemment qu’à partir d’une certaine limite les effets risquaient de s’inverser. Le souffle pouvait s’envoler, notre désir pouvait s'émousser et l’attente pouvait finir par t’exaspérer.
L’œil aux aguets, devinant le moment opportun, j’ai su qu’il fallait stopper là. L’instant était parfait. D’une phrase soupesée, j’ai déclaré ouvertes les hostilités.
© DGC 06 2007
illustration : Manara
Mer 27 jun 2007