Au Paradis des Muses

    Dieu est le possible qui réside au-delà de l'actuel. Dieu n'existe pas. Dieu est une création car l'éternité ne suffit pas. Henry Miller : Lettres à Anaïs Nin         Il est deux heures du matin. Je rentre d’une séance de travail en taxi. J’indique l’adresse. Le chauffeur entame la conversation.   Pondichéry   J’apprécie ce genre de dialogue. Un quart d’heure au milieu de la nuit pour faire connaissance, pour se confier ou pour échanger le plus librement du monde avec quelqu’un qu’on ne reverra sans doute jamais. Cette une occasion intéressante à saisir.   Une autre fois j’avais parlé avec un chauffeur d’origine indienne. Il était né à Pondichéry, un ancien comptoir colonial français. C’était passionnant de l’écouter évoquer cette ville exotique tout en commentant les aspects modernes de notre capitale.   Cette fois-ci le type avait le profil du parfait immigré maghrébin, âgé d’une cinquantaine d’années, simple et jovial. En voyant mon sac il m’a demandé quelle sorte de travail j’exerçais.   - J’écris, lui réponds-je simplement, je suis rédacteur. - Ah oui ? Me demanda t- il, dans quel domaine ?   Génial, pensais-je, j’ai surement à faire à un amoureux de la littérature.   - Principalement deux domaines, fis-je sans détour : la religion d’une part, et l’érotisme d’autre part. - C’est très différent, rétorqua t-il un peu surpris.   J’annonce rarement à une personne que je rencontre pour la première fois les deux faces de mon activité d’écriture. Par habitude, par cette peur stupide de mettre mes interlocuteurs mal à l’aise. Et puis je n’aime pas m’expliquer, je déteste me justifier. Par crainte de leurs jugements aussi. Pourtant c’est tellement évident pour moi. J’ai depuis bien longtemps réalisé qu’il s’agissait de la même démarche, du même mouvement.   Aimez-vous les uns les autres   Comment allais-je pouvoir lui faire comprendre, alors qu’il commençait à vouloir me signifier qu’il était musulman et qu’il avait l’esprit tolérant, que d’une part j’étais athée jusqu’au bout des ongles et que ça ne m’empêchait pas d’écrire des bouquins lus par des dizaines de milliers de cathos de toutes tendances et que d’autre part, j’écrivais des nouvelles, des articles et des poèmes qui parlent parfois crument de l’amour physique, et que dans les deux cas j’avais le sentiment d’apporter ma contribution au monde qui m’entourait. Mieux : que mes réflexions d’ordre sensuel peuvent nourrir ma compréhension de l’idée de Dieu chez les croyants, et inversement, que ma connaissance de la spiritualité enrichissait mon rapport à l’érotisme. Pire : que je ne me sens jamais aussi motivé par l’écriture érotique qu’après avoir développé et mis en forme un chapitre sur la prière ou la miséricorde.   Il m’aurait fallu un peu plus d’un quart d’heure et je n’aurais sans doute pas réussi à lui expliquer que les valeurs religieuses telles qu’elles étaient évoquées dans les chapitres que je rédigeais frisaient souvent la remise en cause intégrale de l’institution de l’Eglise, et que l’érotisme tel que je l’abordais, par l’écriture et dans ma vie personnelle se voulait avant tout un hommage aux joies de l’amour, à la beauté des femmes et aux instants magiques de la rencontre et que tout cela n’avait rien d’incompatible avec la célébration de Dieu. J’aurais aimé lui dire que quelques unes de mes muses les plus dévergondées étaient croyantes et pratiquantes.   Il m’aurait fallu un peu plus d’un quart d’heure pour tenter de lui expliquer que j’étais capable de comprendre les valeurs et les règles de la religion catholique qui a modelé ma culture, jusqu’à m’en faire le porte-parole, sans pour autant y adhérer.   Il m’aurait fallu du temps pour lui dire que je déteste les religions parce qu’elles oppriment les individus mais que mon idée du sacré était peut-être la même que la sienne.   Il m’aurait fallu plus longtemps pour lui dire que nos complexités et nos contradictions constituent notre richesse, que nos doutes sont ce qu’il y a de plus fécond, de plus vivant, et que ceux qui prétendent connaitre la vérité, surtout si elle est révélée, sont généralement du coté des oppresseurs de la pensée, de l’imagination, de la liberté et du plaisir.   Il m’aurait fallu longtemps pour lui dire qu’en mettant mes modestes compétences littéraires au service d’un prêtre dont le discours retentit jusqu’au Vatican, j’étais aussi un grain de sable supplémentaire qui pouvait user un peu plus vite les rouages des rigidités et des traditions.   Dieu est amour   J’aurais aimé lui dire que je rêvais de voir s’écrouler les églises parce que je crois que les plus beaux temples sont les désert, les forêts, les océans, les montagnes… Mes seules chapelles seraient les palais d’opéras, les écoles de danse, des ateliers de peintres, les musées de sculptures... Mes prêtres seraient poètes ou conteurs, ma bible serait le Kâma-Sûtra et mes sœurs de foi seraient des muses lubriques et infidèles.   Je me surprenais spéculer intérieurement. Il aurait fallu entonner une prière sur un mode ordurier et blasphématoire. « Je boirais au calice au creux des cuisses ouvertes des dames concupiscentes. Elles communient au foutre chaud qu’elles lampent à ma source. Ma plus belle prière est une nuit de débauche. Des sept vertus capitales, la luxure est cardinale… » Pur exercice de style.   Il aurait fallu que je puisse franchir les murailles de ses a priori pour lui faire concevoir que la religion lorsqu’elle est bien comprise vise simplement à mieux vivre ensemble et que ma vision de la sensualité vise, avec une immense prétention, à montrer une voie plus libre, plus épanouie, et plus paisible dans les rapports entre les sexes et entre les êtres.   J’étais trop fatigué alors je me suis tu. J’ai hoché du chef en écoutant que le prophète voulait que les femmes soient respectées… Il nous aurait surement fallu un très long voyage.           © DGC 07 2007 Illustration : Ecole des beaux arts  
Dim 29 jui 2007 4 commentaires
Il t'a fallu quelques secondes de reflexion
pour savoir que le silence était raison
car si Dieu est amour dans la logique
tu aimes et respectes, c'est ton éthique

Tu avais peu de temps c'est un fait
mais tu ne voulais pas être prophète
ta priorité c'était de ne pas froisser
ce cinquantenaire un peu fatigué

Je te souhaite de lui avoir apporté
une interrogation et qu'il s'est questionné
sur le fait qu'on puisse par des mots transmettre
un sourire, une douceur, un plaisir, du bien être
Multi-sourires - le 31/07/2007 à 07h46

Tu as raison, mon amie Multi, je ne suis pas prophète. Dieu m'en garde ! Je tente simplement de partager ce que je crois avec ceux et celles qui peuvent m'entendre. Et lorsqu'une oreille m'écoute, je lui donne l'or de mon âme. 

Anonyme

Le partage comme religion.


J'ai beaucoup aimé ton homélie : « Je boirais au calice au creux des cuisses ouvertes des dames concupiscentes. Elles communient au foutre chaud qu’elles lampent à ma source. Ma plus belle prière est une nuit de débauche. Des sept vertus capitales, la luxure est cardinale… »


Je savais déjà que j'étais au Paradis.


Baisers

Flore - le 01/08/2007 à 14h28
Flore, je crois aussi au paradis : il est ici bas, au creux de ton ventre, sur le bout de ta langue, au profond de tes yeux, dans le vent de ton parfum...
Anonyme

je me surprend souvent à sourire aux gens qui pronent les vertus de l'église, de la bonne moral, ... ils s'agitent, s'époumonent, brassent l'air ... ils me font rire !


le silence en dit bien plus long !


kiss

MissQ - le 08/08/2007 à 22h17
MissQ, tu es une vilaine mécréante, une horrible incrédule, une affreuse profane ! Tu brûleras sur la buche de mon enfer ! 
Anonyme

Alors je plaide Coupable !


Inutile de me proposer un avocat commis d'office !


kiss

MissQ - le 09/08/2007 à 12h30